Vendredi 4 août: Dernier retour au port ...

Dernier retour au port ...

Pour certains, comme Marta, RREX 2017 était l'occasion de d'embarquer pour la première fois. Pour d'autres, c'est l'heure de la dernière campagne. C'est la cas de Cathy, qui a gentiment accepté de répondre aux quelques questions du "8-12" (William, Serge et Kevin). Retour sur les embarquements qui ont ponctué une très belle carrière qui touche à sa fin dans quelques mois.

 

8-12 : Cathy, peux tu nous décrire ton travail à terre ainsi qu'à bord ?

Cathy : Ma carrière !! Quand j'ai commencé à travailler en 1976, je n'aurais jamais pu imaginer que quelques mois avant ma retraite, je ferai le tour d'un iceberg en zodiac en plein Atlantique Nord ! Forte de mon DUT Informatique de gestion, j'ai "courageusement" travaillé 2 ans dans une grande mutuelle d'assurances, puis 2 ans dans une grande banque bretonne ... pour réaliser que le mot gestion de mon diplôme ne me plaisait pas le moins du monde ... 2 démissions successives et me voici en CDD en 1980 (puis en CDI) au Cnexo, l'ancienne appellation de l'Ifremer; 10 ans entre bases de données documentaires et informatique aux moyens communs, voici venu le temps de voir ailleurs : l'informatique pour l'informatique ne me faisait pas rêver, je souhaitais une informatique proche de l'utilisateur et surtout je voulais EMBARQUER. J'ai donc intégré le LPO fin 1990 : un monde nouveau s'ouvrait à moi : les chercheurs et l'océanographie physique (pour une fille de la mer et de la pêche). Je travaillais dans le cadre du projet international WOCE (World Ocean Circulation Experience) et j'ai développé des logiciels de traitement des données Hydrologie, de la calibration des données (pardon ... ajustage) à la fourniture de fichiers exploitables par les chercheurs. Ce logiciel a passé les années, les versions, les langages mais est toujours utilisé à ce jour. J'alimente un catalogue de campagnes utiles au laboratoire en récupérant les données des campagnes étrangères sur les sites des organismes de recherche (CCHDO, BODC ...) : correction, archivage, décodage au bon format ... Depuis 2009, je travaille avec Virginie sur le contrôle qualité des flotteurs ARGO, dont le laboratoire est responsable. Passage des données Temps réel au temps différé (données contrôlées donc exploitables par la communauté scientifique) à l'aide de contrôles visuels et de méthodes d'analyse objective, en liaison directe avec le centre de données Coriolis. Ce contrôle visuel des données est extrêmement important et bénéfique pour une bonne qualité de données (amélioration des tests automatiques, découvertes de bugs ...). A bord, je fais du quart CTD (de minuit à 4 heures et et de midi à 16h) en compagnie de mes 2 acolytes Pascal et Mathieu. La bathysonde (décrite plus précisément dans un autre article du blog) est mise à l'eau (à l'aide de l'équipage), elle descend au bout d'un câble électro-porteur et remonte à la surface par paliers, chaque palier correspondant à une fermeture de bouteille. Mon travail consiste à suivre, d'un PC, la descente de la sonde et les tracés des paramètres, et à fermer, lors de la remontée de la sonde, les bouteilles (informatiquement parlant bien sur !) aux niveaux adaptés. Ensuite, il faut prélever l'eau des bouteilles pour les analyses et surtout tout noter. Nous sommes 3 quarts de 3 personnes par quart, les bathysondes se suivent 24h sur 24 et se ressemblent.

8-12 : Peut-être as tu arrêté de compter, mais à combien de campagnes es-tu rendue ?

Cathy : En 27 ans de laboratoire, j' ai fait un certain nombre de campagnes, mais pas autant que j'aurai voulu à cause d'emplois du temps chargés à terre et des aléas de la vie (comme tout un chacun), et beaucoup moins que nombre de mes collègues. Je peux citer Romanche, Cither 3, Pomme, Semane, plusieurs Arcane, Aspex, Ovide, 2 RRex, Bocats, ...

8-12 : Ton meilleur souvenir en mer ?

Cathy : Ce sont les moments de rire et de détente passés dans le radeau désaffecté servant de piscine, installé sur le pont avant de l'Atalante lors de la campagne Cither3. Une eau de mer à 28 degrés, sous un soleil de plomb, les places étaient chères; bien serrés, on devait tenir à 13-14 assis dans l'eau, éclaboussures assurées et appréciées. Le premier qui se levait était remplacé illico presto ! Mais, de retour à terre, peut-être que la virée en zodiac autour de l'iceberg détrônera la piscine ... Donc le meilleur en Atlantique Sud : piscine Cither 3, le meilleur en Atlantique Nord : zodiac/iceberg RREX 2017.

8-12 : Et le pire ?

Cathy: Un évènement survenu lors de la première sortie du Thalassa en novembre 1996, lors d'une campagne Arcane. La campagne avait mal débuté avec la perte d'une ancre, le retour sur Saint-Nazaire, les 8 jours à terre à attendre le retour de l'ancre, retardé à cause d'une grande grève des routiers. Nouveau départ. Gros coup de vent en plein golfe de Gascogne, les vagues passaient au-dessus de la passerelle. Photos, excitation, tout le monde était amariné, donc pas trop de malade. Tout à coup, une vague plus grosse que les autres a fait giter le bateau de 38 degrés (problème de ballaste), un collègue lové au fond du canapé a traversé le salon, les poissons ont été projetés hors de l'aquarium, tout ce qui n'était pas bien rangé traversait les pièces ... des détails ... Avec une rapidité professionnelle, l'équipage a bloqué toutes les portes extérieures et soudain, black-out : plus de courant ! On a senti, sans voir les gens, une panique non dite, mais une réflexion rapide sur les bons gestes à effectuer, du silence mais de l'action. Le plus oppressant était d'entendre les vagues cogner contre la coque, sans aucun autre bruit ... et de réaliser qu'on n'était en somme qu'une petite coquille de noix ballotée dans l'immensité de l'océan. On devient vite humble ... Tout a été rétabli peu après, comme on était heureux d'entendre le bruit du moteur et de la climatisation !!

8-12 : Tes plus belles escales ?

Cathy : Difficile de choisir entre tous les ports si différents (Lisbonne, Vigo, Douala, St John's, Saint-Nazaire, Dakar, le Cap, Reykjavík ...) mais pour moi, tous synonymes de vie, d'échanges, de mouvements, de couleurs et propices à la poésie, voire pour certains, à la nostalgie. J'opterai donc pour Cape Town et le cap de Bonne Espérance en Afrique du Sud. Cette ville est dans un environnement à couper le souffle, avec la montagne de la Table dominant la ville, une végétation luxuriante mais surtout une ville chargée d'histoire. Émotion intense, en apercevant du haut de la montagne, Robben Island, l'île toute proche de la ville, sur laquelle Mandela a passé 27 ans emprisonné, pour la dignité de son peuple. En tant qu'habitante du bout de l'Europe, j'ai également ressenti une grande émotion à me trouver au bout de l'Afrique, au cap de Bonne Espérance (quel magnifique nom !) , face à l'immensité. Mais j'avoue qu'arriver au large d'Ouessant, entrer dans le goulet, longer la côte, traverser la rade et mettre pied à terre sur le port de Brest après 5 semaines de mer est une magnifique escale !

8-12 : Avec le recul, qu'est ce que ces embarquements t'ont apporté dans ton travail ?

Cathy : Énormément. Tout d'abord, lors de la première campagne, j'ai compris les termes et visualisé ce sur quoi je travaillais depuis un an : bathysonde, XBT, station, radiale, pinger, prélèvements, calibration des données ( pardon "ajustage")... Au fil des campagnes, j'ai pu réaliser la compétence de tous les intervenants à tous les niveaux : mouillage, bathysonde, VMP, ADCP ... Une mission c'est l'occasion de découvrir les différents métiers de la mer (des matelots aux mécaniciens en passant par les cuisiniers et les officiers), de rencontrer des personnes de tous horizons, de mieux appréhender également le travail de l'équipe technique du laboratoire, la responsabilité du chef de mission et son implication, et surtout de comprendre qu'avant de pouvoir émettre une hypothèse scientifique, il faut des tas et des tas de mesures, de regroupements, d'analyses ... Le fait de vivre plusieurs semaines en collectivité avec les collègues apporte une certaine connivence au retour au laboratoire et coupe la routine du bureau. Et à terre, lorsque je travaille sur les données d'une campagne, j'ai toujours plaisir à me souvenir les moments passés en mer, c'est du concret ... mais surtout je peux réaliser l'implication qu'il a fallu aux uns et aux autres, sur le plan humain, technologique et marin, pour les obtenir ! Une bonne donnée se mérite et se respecte.

8-12 : Ton conseil avisé à un(e) jeune embarquant(e) ?

Cathy : Je les sens tous bien motivés ces jeunes embarquants, la science de demain est entre leurs mains ! Qu'ils aillent de l'avant, prennent des risques, qu'ils aient des tas de projets, mais qu'ils n'oublient pas cette première expérience en mer ! Le monde de la mer est un monde rude, à part, l'isolement, l'ennui, la répétabilité du travail sont minimes par rapport à la convivialité, l'échange, la découverte de l'autre et des métiers différents, le respect, la solidarité qui règnent sur bon nombre de campagnes, et sur celle-ci bien sur. Qu'ils n'oublient pas ces valeurs dans leur travail à terre !

Message à la gente féminine : jeunes femmes, futures mamans, si la mer vous plaît et si l'occasion se présente pour embarquer, n'hésitez pas à vous offrir une belle parenthèse dans votre quotidien : pas de courses, de ménage, de cuisine, de vaisselle, des rencontres ... vos enfants ne vous en voudront pas, au contraire, ils seront fiers de vous et en parleront à la récré !

8-12 : Une anecdote qui t'a marquée ? quelque chose que tu n'oublieras pas de sitôt ?

Cathy : C'est assez personnel, mais j'ai envie de la raconter : Embarquement sur la Thalassa pour une des missions Arcane (1988 ou 1999 ?) . Je suis présentée au capitaine (ou second-capitaine, je ne sais plus), Hervé Piton.

- "On se connait ? " lui dis-je. Il me regarde, un peu ébahi, surpris ... - "Je ne vois pas, vous êtes qui ?"

- "Catherine Lagadec"

Je le vois réfléchir, me regarder, se frotter le menton et tout d'un coup s'exclamer :

- "T'es la fille à Pierrot ?"

Hervé avait fait sa première marée comme mousse (à 14 ou 16 ans) sur un chalutier de Concarneau dont mon père était chef-mécanicien. Ils ne s'étaient pas revus depuis 30 ans, mais mon père, ayant connaissance du fait qu'Hervé travaillait à Genavir, me demandait sans cesse quand je revenais de mission si je l'avais rencontré ... Par bonheur, retour de mission sur Brest. Retrouvailles. Hervé invita mon père sur la Thalassa : apéro(s) dans sa cabine, meilleurs vins pour le repas à bord et visite de la machine. Il était fier le Pierrot, et heureux ! Il a versé sa petite larme ... il n'était pas le seul !

8-12 : Une bêtise inavouée (maintenant qu'il y a prescription) ?

Cathy : Ah oui, s'il y a prescription ... Ce n'est pas vraiment une boulette mais une bêtise assumée à plusieurs : Lors de la campagne Cither3 (février-avril 1995), sur ce même bateau, l'ambiance était au beau fixe, comme la météo : soleil, chaleur, blagues ... mais en contrepartie, 42 jours de mer, 32 bouteilles à prélever à chaque station, arrivée en station avant la fin des prélèvements de la précédente et pas de remontée de mouillage pour souffler un peu ! Un soir de grande excitation, les préleveurs exténués ont jeté une bouteille de salinité à la mer avec un billet à l'intérieur :"Venez nous chercher, on est retenus comme esclaves sur un bateau, on travaille sans relâche" avec le nom du bateau et la position géographique. Cela fait 22 ans que l'on attend que quelqu'un rapporte la bouteille à Genavir. Et parmi cette bande de jeunes écervelés, il y a des grands noms de l'océanographie française !Comme quoi, une bêtise de jeunesse n'empêche pas le sérieux.

8-12 : Le mot de la fin ?

Cathy : "C'est pas l'homme qui prend la mer, C'est la mer qui prend l'homme. Moi la mer elle m'a pris, Je m'souviens un mardi ... tantantan" Et pour tous : Beau temps, belle mer, belles escales, bonne science, bonne cuisine, bons repas et bonnes siestes à tous les embarquants actuels et futurs !

8-12 : Merci Cathy !